
Source : Musée de Normandie (J F de Marcovitch)
"Pour
comprendre l’importance de la place Fontette, il faut
observer,
avec les historiens J. C. Perrot et J.B. Chérie, des plans
de
Caen du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe
siècle.
Caen est depuis sa « fondation » sous Guillaume le
Conquérant, une ville polynucléaire.
A
l’ouest s’étend le Bourg
l’Abbé,
à l’est le bourg l’Abbesse moins
développé, au sud l’île
Saint-Jean, quartier
de la noblesse locale et des logements de l’administration
(Bureau des Finances, Intendance). Au centre apparaît le plus
vaste et le plus peuplé des quartiers, ceint de remparts et
parcourus par un lacis de rues étroites et souvent
sinueuses, le
besogneux « Bourg le Roi ». A l’ouest de
ce bourg, la
place Saint Sauveur offre un espace dégagé pour
le
marché hebdomadaire et les exécutions publiques,
d’où son nom « place du pilori
» mais elle se
termine en cul-de-sac sur les remparts jusqu’aux
années
1750.
Le
voyageur à cheval, l’artisan sortant du Bourg
l’Abbé, le marchand en charrette arrivant de
Bayeux ou de
Bretagne devaient donc s’engager dans la rue Saint
Martin,
franchir la porte de Bayeux sur les fossés Saint Julien
(pont
levis de 2 mètres de large) et descendre la rue
Pémagnie
elle-même encore sinueuse au XVIIIe siècle pour
atteindre
la place Saint Sauveur puis la rue Saint Pierre. Arrivés
place
Saint Pierre, ils devaient franchir le Pont Saint Pierre où
se
dressait l’hôtel de Ville et traverser
l’île
Saint Jean par la vaste rue Saint Jean. Puis venaient les deux derniers
obstacles : la porte Millet large de trois mètres seulement
et
le vieux pont de Vaucelles. Au total, un trajet long, quelques fois peu
sûr, (nombreux coupe-gorges) et fréquemment
embouteillé.
Au XVIIe siècle, la création
de la place Royale permit de relier le Bourg-le-Roi à
l’île Saint Jean, et l’on ne fut plus
obligé
d’emprunter le pont Saint- Pierre. Mais entre 1666 et 1753
Caen
gagne 7 000 habitants et passe de 25 000 à 32 000
âmes,
cette croissance se fait sans réel gain d’espace :
on
ajoute des étages (souvent le 4ème)
et l’habitat se densifie, la circulation se ralentit. Les
administrateurs sentent qu’il faut à la ville un
axe
est-ouest commode. Il faut relier le Bourg-le-Roi et le Bourg
l’Abbé autrement que par cette archaïque
porte de
Bayeux. Cette exigence d’espace dégagé
et
d’ouverture n’est pas spécifique
à Caen :
tout le XVIIIe siècle est traversé par un
désir
d’avenues, de perspectives, d’axes permettant une
communication aisée et un coup d’oeil flatteur.
L’architecte Blondel (1705-1775), auteur de nombreux
ouvrages,
écrit dans son cours d’architecture civile (1771-
1777) :
« elle (l’architecture)
préfère dans nos
villes, à la décoration des façades,
des
accès faciles ; elle s’occupe de
l’alignement des
rues, des places, des carrefours, de la distribution des
marchés, des promenades publiques ». Parallèlement le caractère
obsolète
des remparts
facilita leur destruction et libéra un important espace qui
autorisa le remodelage de la ville.
A Caen, cette tâche va
incomber à François-Jean Orceau baron de
Fontette,
intendant de la généralité de Caen de
1752
à 1775. Cet homme de 34 ans a réalisé
toute sa
carrière à Paris et est très au fait
des
problèmes urbanistiques. Sur place, pour relier le Bourg
l’Abbé au Bourg-le-Roi, il doit trouver un
compromis entre
les deux propriétaires du site choisi, les moines de
l’Abbaye Aux Hommes et les officiers municipaux caennais.
En
1775, Fontette obtient l’officialisation de son projet par un
arrêt du conseil : « le Roy ayant jugé
que pour
l’embellissement de la ville de Caen, la commodité
de ses
habitants et pour l’avantage de son commerce il
était
nécessaire d’ouvrir une nouvelle entrée
dans la
dite ville entre la porte Saint Etienne et la tour Chastimoine en
perçant une rue dans le jardin des religieux dans
l’Abbaye
de Saint Etienne… ce qui formerait une double communication
avec
la place Saint Sauveur et la rue Ecuyère ».
Chaque
partie doit y trouver son compte : l’Abbaye obtient une bande
de
250 mètres de long à lotir sur le
côté sud
de la future rue Saint Benoit (actuelle rue Guillaume le
Conquérant), la ville y gagne son entrée. Seule
l’armée regrette la disparition des remparts. Mais
elle
sait qu’elle livre là un combat
d’arrière
garde. On aboutit ainsi à une place octogonale, disposition
qui
permet aux voyageurs d’atteindre commodément tous
les
quartiers de la ville. La démolition des remparts,
l’ouverture de la place, le comblement des fossés
s’accompagnent d’alignements destinés
à
élargir les rues Saint Pierre et Ecuyère. Dans
cette
dernière rue, des lucarnes datées des
années 1750,
des agrafes de style rocaille, permettent au promeneur curieux et
attentif de relier ces travaux au règne de Louis XV.
A
l’emplacement des anciens fossés on
élève
deux pavillons d’entrée ; celui des moines
(côté sud) est achevé en 1758, celui de
la ville
(côté nord) n’est terminé que
15 ans plus
tard ; En 1777, le ministère de la guerre décide
de le
transformer en caserne pouvant recevoir 200 hommes. On voit
là
le souci de mettre l’armée à
l’écart
de la population, de la loger à part tout en
l’ayant
à disposition en cas d’émeute.
Les deux
pavillons devaient être reliés par une porte
monumentale
ornée d’un arc de triomphe. Mais ces projets
couteux ne
furent jamais réalisés. Ainsi la ville
économise-t-elle de l’argent et garde-t-elle un
accès totalement dégagé. La place est
baptisée « place Fontette »
dès 1763, du nom
de cet intendant connu aussi pour son orgueil et au grand dam de la
municipalité qui, à plusieurs reprises,
s’opposa
à son projet.
Sources:
Musée de Normandie J. F. de Marcovitch
Fonds normands
"Genèse d'une ville moderne, Caen au XVIIIe
siècle" J.C. Perrot
Lucien
Bresson
Année universitaire 2009-2010